Avant le bus
Gare routière. Le printemps affleure et le soleil est doux. Début d’après-midi en semaine. Un petit groupe fait la queue au bord d’un quai.
Philippe se présente comme le capitaine du bus. Il est muni d’un téléphone mobile et va vérifier les passe-sanitaire et les billets de transport pour ce voyage.
Les membres de la file d’attente tendent leur téléphone que le chauffeur scanne à deux reprises. Vient le tour d’une jeune femme, sac-à-dos de guingois, bandoulière sur une épaule. Le chauffeur vérifie deux fois chaque document contenu dans le téléphone et demande à cette personne de se mettre sur le côté. Non, elle ne peut pas monter encore dans le bus, il doit procéder à des vérifications.
Elle passe ses appuis d’un pied sur l’autre. S’agace. S’impatiente.
Philippe indique que son billet et le passe-sanitaire ne sont pas au même nom. Il demande une pièce d’identité, un document valide pour le transport, que les choses correspondent quoi !
Ben oui, qu’est-ce que ça peut faire ? elle lui lance. Quand je suis allée à Barcelone, avec la même compagnie de bus, on ne m’a pas embêtée comme ça. Ohlala, le chauffeur n’en avait rien à faire alors, on a même passé la frontière sans que personne ne vérifie rien !
Philippe-capitaine garde son sang-froid mais n’en pense pas moins.
Et puis, de toute façon, en cas de contrôle, c’est moi qui prendrai une amende et c’est tout. Alors, vous pouvez bien me laisser monter… Qu’est-ce que ça peut faire, hein ? Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
Le chauffeur tente l’explication de texte. Elle s’énerve encore contre toutes ces règles à la con. Il rappelle qu’il y aura des élections bientôt, elle pourra voter pour qui elle voudra mais en attendant, il applique les directives. Il ne peut pas courir le risque de prendre à bord une passagère aux documents irréguliers, sans quoi la compagnie de bus pour laquelle il travaille peut perdre son marché.
Ben oui, elle dit, je pourrais bien voter, ça s’est sûr. Mais pour un candidat qui n’est même pas élu, alors…
Philippe ne comprend rien à cette phrase ambiguë. Pas plus que les personnes qui attendent dans la file qu’on scanne leurs documents de voyage. Alors, on avance ou bien ?
Elle tente une fois encore d’amadouer.
Allez, vous pouvez bien me laisser monter, qu’est-ce que ça peut vous faire ? Allez quoi ! Un peu de solidarité enfin !
Le capitaine ne se laisse pas attendrir. Il n’est pas solidaire sur commande.
Allez quoi ! M’enfin, l’autre fois je vous dis, ils s’en foutaient complètement des titres de transport quoi !
Le chauffeur lui indique le comptoir et son guichet de réclamations. Il ne peut pas la laisser monter dans le bus, qu’elle comprenne ou pas. Il est désolé, ce n’est pas lui qui décide des directives.
Elle, elle abandonne. Jette l’éponge. Écœurée. Elle flanque la bandoulière de son sac sur son épaule et se dirige vers les guichets. Elle n’ira pas à Montpellier comme elle l’envisageait, c’était quand même vachement lus simple d’aller à Barcelone, fin de l’histoire.