Speaker’s Corner #1
Speaker’s Corner est une nouvelle en construction. Je passe par la fiction pour interroger l’actualité, ce qui se joue en France depuis quelques mois.
Après-midi d’un printemps encore hésitant. Elle entre dans le jardin des plantes. Remonte l’allée en direction du carrefour des passages. Elle s’arrête. Porte son regard alentour. Extrait de son cabas le tabouret pliant qu’elle installe devant elle. Elle y pose un pied. S’assure que son piédestal supportera le mouvement. Donne une impulsion et se perche. Elle regarde à nouveau autour d’elle. Elle sort de la poche de son imper une feuille qu’elle déplie. Elle lit rapidement ce qui s’y trouve écrit. À qui veut l’entendre elle dit :
« Vous comprenez, on compte sur nous… Sur nous les honnêtes gens. On compte sur nous pour tenir la société à bout de bras. Une société au bord de l’effondrement, nous le savons tous. On compte sur nous et c’est nous qui comptons pour tous. Qui payons pour tous même. Nous, les gens d’amour, de compassion, les solidaires. Là-haut, ils savent bien qu’on est prêts à bien des efforts pour que ça se passe le mieux possible et pour le plus grand nombre. Sans chaos ni violence… Le mieux possible et pour le plus grand nombre.
« Nous, les honnêtes gens, nous faisons tous les efforts. Nous nous serrons la ceinture. Nous retroussons nos manches. Nous crachons dans nos mains et marchons dans la poussière. Il nous arrive d’en baver aussi. Tandis que là-haut, ça profite. Ah oui, ça profite bien même ! ça s’échange des tas de produits fiscaux. Ça s’offre des monts d’exonération. Ça s’achète des yachts et compare la longueur comme les adolescents font des concours de branlette. Ça détourne l’argent des impôts par des voies obscures et étrangères pour s’en mettre ras le compte off shore et surtout ne rien reverser au pays dans lequel on vit. Un pays qui a pourtant généreusement contribué à l’enrichissement de celui qui détourne. Mais un pays qu’on dépouille sans vergogne. Par mépris d’autrui. Irrévérence. Vulgarité morale.
« Seulement nos bras n’en peuvent plus. Nos bras d’honnêtes gens qui portent à bout de force une société prête à exploser. Nos esprits pas mieux. Nos finances encore moins. Nous n’en pouvons plus d’être les gogos de la farce et d’aligner l’oseille pour que d’autres s’en remplissent le gosier. Ça n’est plus possible ce tumulte des autres. Ceux qui s’enrichissent à mesure que le gouvernement nous appauvrit, nous, les honnêtes gens. »
Elle prend une pause. Observe autour d’elle cette femme qui l’écoute et son enfant affairé dans le gravier de l’allée. Le gardien légèrement en retrait, l’air un peu ridicule dans son uniforme trop étroit. Un couple assis sur un banc à proximité. Moins de quarante ans à eux deux. Des passants qui vont et viennent, posant à peine sur elle leur regard intrigué. La dépassant sans sourciller. Elle poursuit :
« C’est de la discrétion qu’on demande. De l’humilité. Et de la frugalité comme dit Rabhi. Nous avons des crampes nous, à force de tenir assemblés les gonds de notre monde. De veiller à la cohésion tandis que les quelques nantis les plus égoïstes ruinent tous nos efforts en rivalisant de ruse pour davantage nous diviser et nous empêcher de les dénoncer. Diviser pour régner, vider nos cerveaux à grands coups d’émissions débilitantes. Occuper nos esprits par des articles ineptes et des people décérébrés figés dans les plus intimes scènes de leur vie mises en scène. Et qui couche avec qui dans la jet-set ? Quel people vit encore une terrible rupture, trahison, tromperie et bla-bla-bla, envoyant les clichés d’un système donné comme enviable, imitable. Le seul : devenir célèbre et riche, au fond, qu’importe les moyens. (…)
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